dimanche 24 janvier 2016

Bluff honnête?

Commençons par ”information stratégique” associée aux interactions sociales des espèces humaines. D’après Pascal Boyer, chercheur des sciences cognitives, il s’agit d’un terme technique. Dire d’une information qu’elle est stratégique c’est qu’elle a été traité comme telle par les systèmes d’inférence impliqués dans les relations sociales d’un individu. La distinction entre stratégique et non stratégique dépend d’une situation particulière et de sa représentation. Si l’information est stratégique est dans l’oeil de l’observateur, mais n’implique pas que l’information en question soit nécessairement importante ou vitale.

De bons candidats pour l’information stratégique sont les commérages. Généralisant un peu, les gens sont avides d’information sur le statut social, les ressources et la sexualité des autres, mais au même temps méprisent sa divulgation. Ils veulent se présenter comme des personnes qui ne répandent pas des commérages, et au même temps ils redoutent de voir divulguée une telle information à leur sujet. Nous sommes ambivalents - et ainsi vulnérables.

Romancière Delphine de Vigan avait vécu une période dure après sa victoire du prix de Goncourt il y a quatre ans. ”Ce n’est jamais facile de se remettre d’un échec, encore moins d’un succès.” Y aurait-il une possibilité d’une rentrée littéraire? Évidemment, mais ça exigera de travail persévérant et de quelque chose d’ingénieux qui nourrira aussi bien la motivation à travailler que la promesse d’un nouveau succès. Elle, maintenant écrivain à plein temps, saisissait le point fragile de l’être humain, l’importance fondamentale pour sa survie de l’information stratégique. Delphine de Vigan choisissait le role de colporteur des commérages.

Mais le commérage perd beaucoup de son attrait, nous rappelle Pascal Boyer, lorsqu’il s’éloigne de son sujet. Qui soit le sujet le plus proche de tout lecteur du roman suivant? L’ecrivain même! Le protagoniste du nouveau roman titré ”D’après une histoire vraie” s’appelle Délphine, comme elle. Elle est écrivain, comme elle. Elle a connu avec son dernier roman un succès qui faisait sensation, comme elle. Quelle excellente plat-forme pour inventer et semer des commérages sur la personne, dont le lecteur ne sait pas si elle soit fictive ou réelle. L’ecrivain retien la liberté illimitée de révéler des détails intimes sur le sujet sans devenir inculpé de l’insulte, et de forcer le lecteur à se questionner continuellement sur ce qui soit vrai dans cette histoire - et de nourrir son côté voyeur.

Comment a fonctionné ce truc? Il semble que le public soit divisée en deux. On peut lire des réactions où les lecteurs se sont trouvés bluffés, même humiliés. D’autre part, on a vu ce roman comme une invitation sincère à reflechir sur la proportion du vrai et du faux dans tout information, ce qui nous emmène à la question de transparence. Et remarquons que l’année dernière ce livre-ci a apporté à Delphine de Vigan le prix Renaudot.

Aujourd’hui, on exige de la ”transparence” partout. Mais la notion de transparence souffre de la même maladie que celle de multiculturalisme: elle est omniprésente. Bien sûr, chaque individu a le droit à la certitude que les autres ne lui mentent pas. Mais distinguer la vérité de l’information mensongère n'est pas toujours facile. Dans certains domaines le secret est nécessaire comme le secret médical ou celui de l’intimité. Ainsi la transparence absolue n’est qu’un fantasme de toute-puissance. C’est pourquoi on a commencé à parler du mythe de transparence.   

Ce mythe a donné naissance aux phénomènes qui suscitent la distortion d’information, qui opacifie l’information plutôt que l’éclaire. La quantité de l’information complémentaire surpasse sa qualité. L’incertitude de l’individu sur ce qui soit vrai et ce qui soit faux augmente. Sa capacité de distinguer l’information rationnelle du bluff et de voir le lien d’une fragment d’information au total deviennent de plus en plus menacées. On rencontre de tels phénomènes à la télé, au cinéma, à la littérature, etc. et la fascination des producteurs autant que du public pour le fait divers est apparente partout.

Est-il ”D’après une histoire vraie” un bluff transparente et honnête ou simplement une histoire des commérages inventées par l'écrivain sur soi-même? Ou quelque-chose d'autre?

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