lundi 27 mars 2017

Complexité

”La réalité est complexe.” Cette phrase a l’air d’une déclaration d’une trivialité dont il est facile, intuitivement et superficiellement, d’être d’accord. Mais elle peut représenter aussi le point de départ d’une révolution scientifique, le plus profond jamais, qui nous mène vers un nouveau paradigme de toute science et en conséquence vers une nouvelle vue du monde. Cette dernière est le scénario que je veux brièvement examiner. Que désigne-t-on par les termes réalité et complexe ici?

Commençons par la complexité. Complexe peut se confondre avec compliqué. Par exemple, le langage de spécialiste peut être compliqué aux profanes en sens d’être inintelligible. Le public peut trouver la musique contemporaine ou moderne trop compliqué pour en saisir son idée. Beaucoup de vieillards trouvent l’utilisation des moyens modernes de communication trop compliquée pour eux. Dans toutes ces phrases le terme compliqué exprime une impression subjective. Le terme complexité a été récemment choisi par des chercheurs pour désigner la propriété intrinsèque de la réalité indépendant de ce que l’homme en pense. Il sert ainsi de la démarcation entre la réalité et sa modèle formelle qui est incapable de capturer toutes ses propriétés. 

Attribuant le terme complexité à la réalité ne spécifie pas encore la signification des termes complexité et complexe. Pour la rendre explicite on est obligé de plonger dans les profondeurs de la réalité. J’utilise le terme réalité dans le sens ”tout ce qui est”, c’est à dire la totalité pour laquelle on utilise aussi des termes univers ou monde. Ainsi, tout ce que je vais dire concernant de la réalité est une prise de position ontologique et il s’agit alors, par nécessité, de l’ontologie adéquate opposée des ”ontologies” des domaines spécifiques. Il est important de comprendre que la réalité comprend aussi nos pensées en tant que produits de notre corps (embodied mind) quoiqu’ils demeurent en dedans du corps.

Ça fait presqu’une trentaine d’années que le terme ”science of complexity” apparaissait dans la littérature scientifique américaine. Ca peut être pris, si on veut, pour le premier signe de la volonté de poursuivre un nouveau paradigme, mais alors le contenu de ce terme n’était pas spécifié de façon précise. Un essai de le faire était publié dans l’editorial du numéro 38 de La Lettre Chemin Faisant en 2001. Selon ce qui était proposé, la science de la complexité ”ne peut caractériser une discipline scientifique parmi d’autres, et nulle discipline ne saurait s’en attribuer la propriété épistémique. L’intelligence de la complexité, les modes de représentations et d’interprétations pour action qu’elle appelle, concernent toute l’activité scientifique en des termes interdisciplinaires. Chaque discipline peut se les approprier, dès lors qu’elle le fait intelligiblement en un même langage substrat, et qu’elle explicite la légitimation épistémique des propositions qu’ainsi elle construit. Et elle concerne aussi toute activité humaine collective, qui ne peut jamais s'enfermer durablement dans une stricte division du travail (qui est aussi division des travailleurs), et qui ne peut s'exprimer qu'en termes d’interactions”. 

Si tout ça s’effectuait, nous serions dans la situation que je proposait en 2000 dans un article en deux parts intitulé ”Université doit former des généralistes”. Mes thèses principales dans cet article étaient que (1) le nouveau paradigme à venir sera par nécessité holistique, (2) il se basera sur l’ontologie adéquate et sa langue unifiée, et (3) la théorie centrale unifiante sera probablement celle de la conception. Une dizaine d’années avant j’avait mis en route le développement de l’ontologie PSSP. Sa langue unifiée donnait pour la première fois la possibilité de produire des modèles holistiques intégrant la connaissance des artéfacts et celle des activités de l’homme et de prendre le premier pas vers la théorie générique de conception. Mais tout avancement jusqu’ici au cadre de ”la science de complexité”, incluant le succès de la théorie de chaos, n’est que de petits pas à côté du défi total de la complexité de la réalité.

La réalité dans sa totalité est créative. Autrement dit, la réalité produit spontanément sans cesse de nouvelles structures et phénomènes qui sont imprévisibles. Cette émergence restrain sérieusement l’utilité de réductionnisme et déterminisme, mais au même temps, dans sa créativité, elle tente à ruiner la nécessité d’un créateur surnaturel imaginé dit le Dieu. La réalité n’est pas homogène. Ontologiquement la réalité est nécessairement modulaire et hiérarchique.

Il y a des niveaux où les idées de réductionnisme et déterminisme sont bien valides comme témoigne le succès des projets spatiales: l’envoi d’une sonde et sa pose avec précision au surface d’un corps céleste se base sur les lois de Newton. Tout ça, malgrè très compliqué, est pourtant déterministique et ainsi pas complexe. Au même temps la biosphère est continuellement l’objet de l’évolution. Elle est complexe en conséquence de l’émergence qui s’exerce via la variation et la sélection, surtout des protéines capables de se reproduire. 

La marche triomphale de la science newtonienne aveuglait la communauté scientifique tant que peu à peu la modèle simplifiée de la réalité devenait l’ontologie même. Au même temps le niveau de réalité ignoré, celui-ci où demeure la complexité, était longtemps laissé ouvert pour la mystification, une source d’inspiration bien exploitée dans les domaines de l’art et de la religion. Aujourd’hui la réduction anticipée de cette espace menace de faire le Dieu une espèce en voie de disparition. Le pionnier de la théorie de complexité, Stuart Kauffman, propose dans son livre ”Reinventing the Sacred”, 2008, la redéfinition des termes Dieu et Sacré. ”Dieu” faisant référence à une construction théorique inventé par l’homme et ”Sacré” à quelque chose de divine, c’est à dire, à ce qui vient de Dieu, ainsi aussi bien inventé par l’homme, pourraient été donné de nouvelles connotations surgissant de la créativité de réalité.

Mais quelles sont les chances de succès de l’homme en attaquant la complexité de réalité? Est-ce que c’est face à l’émergence quand l’homme est enfin obligé d’avouer son insuffisance? Kari Enqvist, physicien et cosmologiste, prend la position dédramatisante à l’égard de l’émergence en tant qu’obstacle infranchissable. Pour lui le terme ne signifie que l’insuffisance de la modèle formelle spécifique adoptée (”effective model”) qui s’élimine par la révision de la modèle. Francis Heylighen, cybernéticien, a publié la taxinomie des types d’émergence en 1991. Il argumente que pour décrire l’émergence on doit recourir à la métamodèle dont la fonction est de contrôler la transition d’une modèle à l’autre représentant des variations retenues.

L’homme, un composant de la biosphère, possède la capacité unique, ainsi distinctive, de changer la réalité de façon consciente. C’est à dire, il a la capacité de concevoir. La conception se base sur la raisonnement déductive et inductive, comme fait l’analyse, mais en particulier sur la raisonnement abductive qui avance à l’envers, de l’effet à la cause. L’abduction a la caractère d’une course d’orientation dans un terrain inconnu avec la carte qui n’a que les courbes de niveau mais aucune information concernant la biodiversité de la végétation. Pour l’orienteur chevronné, faisant confiance à son intuition et créativité, une telle course n’est qu’une experience passionnante: il réussi de trouver son trajet qui n’est pas théoriquement optimal mais pas loin de là. Concepteur est capable de prévisions cultivés.

Comment formellement intégrer l´homme et son environment, c’est la question fondamentale de la théorie générique de conception. Il y a une vingtaine d’années j’en résumait mes idées en la modèle que j’appelle la cercle de conception (design cycle). Simplement exprimé, c’est la modèle dynamique de la conception de n’importe quoi. Ainsi, c’est aussi la modèle pour concevoir la modèle de l’émergence. Ainsi dit, je conclure que l’apprivoisement de la complexité de réalité semble possible. Au même temps il est sage de s’apprêter à l’émergence des surprises.





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